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Comment mettre les innovations à l’échelle pour améliorer la sécurité alimentaire et nutritionnelle

novembre 26, 2019

[Le texte qui suit est la transcription (retravaillée) du discours prononcé par notre directeur lors de l’inauguration de l’atelier  "Scaling for Impact " organisé par l’Organisme néerlandais de recherche scientifique (NWO) et la Food & Business Knowledge Platform (F&BKP). Cet atelier a eu lieu les 20 et 21 novembre 2019, à Cotonou, au Benin.]

Bonjour très chers participants et bienvenue à cette journée ouverte au public. C’est toujours un immense plaisir pour moi d’évoquer devant une audience d’un tel niveau des questions en rapport avec la sécurité alimentaire et nutritionnelle. Je suis très honoré de vous présenter mon point de vue sur la façon dont nous pouvons diffuser à grande échelle les innovations afin d’améliorer la sécurité alimentaire et la nutrition. Cette question me tient tout particulièrement à cœur car je suis convaincu que nos efforts de développement doivent désormais se focaliser sur cet aspect.

Les acteurs du développement sont aujourd’hui bien conscients que nous disposons à présent de toute une série d’innovations, de données très intéressantes issues de la recherche et de nouveaux produits et services qui pourraient contribuer à relever la plupart des défis auxquels nous sommes toujours confrontés, notamment le problème de l’insécurité alimentaire et de la malnutrition.

Aujourd’hui, nous devons surtout nous attacher à comprendre comment nous pouvons passer à la vitesse supérieure et diffuser ces innovations – comment nous pouvons faire en sorte qu’un plus grand nombre d’agriculteurs utilisent des semences résistantes à la sécheresse ou adoptent des techniques agroécologiques qui peuvent leur apporter des avantages directs tout en préservant la planète. Comment nous assurer également que les femmes aient accès à des solutions qui ont le potentiel d’améliorer la nutrition et la santé mère-enfant.

Les projets financés par l’ARF ont développé avec succès de nombreuses solutions dans ce domaine. La prochaine étape est de nous employer à diffuser ensemble ces innovations afin de transformer les systèmes, d’atteindre un plus grand nombre de personnes, en particulier en franchissant « le dernier kilomètre » pour que les populations les plus difficiles à atteindre – qui sont aussi les plus vulnérables – puissent en bénéficier.

Ce défi, je le rencontre dans pratiquement tout ce que je fais à ACED ; grâce au soutien du NWO, notre initiative a généré de précieuses connaissances sur les techniques de la pêche durable et les réglementations dans ce domaine. Les communautés de pêcheurs avec lesquelles nous avons coopéré se sont montrées très désireuses d’adopter ces techniques et de mettre en œuvre ces réglementations à l’échelon local.

La prochaine étape sera de diffuser à grande échelle cette success story pour initier et soutenir une transformation systémique des zones de pêche intérieures au Bénin. Je vais à présent vous expliquer comment trois enseignements tirés de ce projet peuvent nous y aider.

Premièrement, nous devons reconnaître le pouvoir de transformation des gouvernements (locaux et nationaux). Quels que soient les efforts et réalisations d’une organisation à but non lucratif comme la nôtre, nous devons pouvoir nous appuyer sur le gouvernement, qui est le seul acteur susceptible d’encourager – ou malheureusement aussi de freiner – la diffusion rapide des innovations. Un gouvernement dispose en effet du mandat, des ressources et du pouvoir dans ce domaine. Les gouvernements – locaux et nationaux – peuvent donc jouer un rôle essentiel dans la diffusion à grande échelle des innovations et des solutions, ce qui ne signifie pas qu’ils y arriveront à tous les coups.

Leur intervention s’impose avant, pendant et après la phase de développement de la solution ou de l’innovation. Il y a donc lieu d’agir de manière proactive pour influencer la législation, les stratégies, les initiatives et les programmes afin d’y intégrer les données probantes, les conclusions et les enseignements susceptibles de faciliter et d’encourager la mise à l’échelle des innovations.

Mobiliser des partenaires plus inhabituels

Deuxième enseignement essentiel : nous devons pouvoir démontrer la faisabilité et la rentabilité des innovations et des solutions. Et c’est à ce niveau qu’intervient le secteur privé, qui est la plupart du temps un partenaire moins habituel pour la mise à l’échelle des innovations agricoles. D’aucuns avancent qu’il est même l’acteur le plus efficace sur lequel nous pouvons compter. Les approches axées sur le marché ont en fait d’autant plus de chances de déboucher sur des solutions plus pérennes qu’elles sont soutenues par des business cases. Car une fois informés des avantages financiers à tirer d’une innovation, les gens sont bien plus enclins à l’adopter. Associer le secteur privé et veiller à ce qu’il saisisse l’avantage financier lié à l’adoption de l’innovation est donc une phase critique du processus de mise à l’échelle.

Enfin, les intermédiaires jouent également un rôle clé dans le développement des stratégies de diffusion et de mise à l’échelle. Ces intermédiaires peuvent faire le lien entre les chercheurs/innovateurs et les utilisateurs finaux.  Ils disposent des compétences nécessaires pour assimiler des connaissances complexes et les traduire en messages assimilables par tous. Lors d’un récent atelier de l’ACED avec des générateurs d’évidences, mon collègue le professeur   Castro Gbedomon nous a demandé si nous n’attendions pas trop des chercheurs. L’idée est qu’il serait peut-être plus efficace de laisser les chercheurs à leur « recherche » et de mettre en place un écosystème d’intermédiaires compétents capables de traduire les résultats et conclusions de la recherche en messages plus « attrayants » et mieux adaptés aux différents publics : des policy briefs pour les décideurs politiques, des business plans pour les acteurs du secteur privé, des guides techniques en langues locales pour les agriculteurs… La question reste ouverte et j’aimerais beaucoup savoir ce que vous en pensez. Quoi qu’il en soit, cette question montre la valeur ajoutée des intermédiaires dans les efforts visant à diffuser à grande échelle les innovations pour qu’elles aient vraiment un impact.

Promouvoir la collaboration pour diffuser les innovations

Je viens d’expliquer que le secteur public, le secteur privé et les intermédiaires peuvent jouer un rôle clé dans l’élaboration et la mise en œuvre de stratégies efficaces de mise à l’échelle et de diffusion. Mais il faut savoir que cet impact sera décuplé si tous ces acteurs collaborent avec les chercheurs. Forts de notre expérience, nous avons donc lancé le réseau Evidence-Policy-Action (EPA), qui vise à mettre en place une plateforme fonctionnelle entre les générateurs et les utilisateurs d’évidences. Pour assurer la pérennité de cette plateforme, nous concentrons notre attention sur trois aspects.

Premièrement l’accès. Nous nous employons aujourd’hui à faire en sorte que les chercheurs et les innovateurs aient accès aux questions de recherche sur lesquelles les décideurs et les praticiens travaillent ; et que les utilisateurs aient ensuite accès aux conclusions et aux innovations ainsi générées.

Deuxièmement les compétences et les capacités. Nous veillons à renforcer les compétences et les capacités des décideurs politiques, des praticiens et du secteur privé afin qu’ils puissent demander des données probantes et des résultats pour les utiliser, et pour développer des innovations nécessaires pour la diffusion.

Enfin, et c’est l’aspect le plus important, nous collaborons avec tous les acteurs pour soutenir la mise en œuvre et la diffusion/la mise à l’échelle des solutions mises au point par les générateurs de preuves. Cela peut se faire de différentes façons, notamment par le biais d’analyses de rentabilité (« business cases ») pour soutenir la commercialisation des solutions, ou en influençant les systèmes politiques pour que ces solutions bénéficient de ressources plus importantes.

Dix années nous séparent de l’échéance fixée pour la réalisation des ODD. Ces objectifs sont à ce point ambitieux qu’ils nécessitent une transformation à une très grande échelle. La bonne nouvelle, c’est que des solutions et des innovations existent déjà. Il ne reste donc plus qu’une étape : identifier et mettre en place les meilleurs canaux et mécanismes pour que les plus vulnérables y aient accès. En 2018, 800 millions de personnes étaient encore confrontées à l’insécurité alimentaire. La mise à l’échelle et la diffusion de solutions innovantes et efficaces pour relever le défi de la sécurité alimentaire et nutritionnelle, selon une approche inclusive, est donc la prochaine étape à franchir pour réduire ce nombre.

Je reste confiant. Je pense que nous avons pris la mesure du défi qui nous attend et que nous sommes parfaitement conscients de la nécessité de collaborer, de regrouper nos ressources, de partager nos connaissances et de mobiliser des partenaires plus inhabituels – comme le secteur privé et les intermédiaires – afin de déployer à grande échelle des solutions pour lutter contre l’insécurité alimentaire et la malnutrition.

Merci

Frejus Thoto, Directeur de ACED et Coordinateur du Réseau EPA.